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100 ans au coeur de la santé

N°618 Mai - Juin 2024

1945-1975 – Les « 30 Glorieuses » de l’hôpital

Au lendemain de la guerre, l’heure est à la reconstruction. Commence alors une période faste, marquée par un essor exceptionnel de l’hôpital public qui devient le pivot de l’organisation sanitaire du pays. Les établissements sont fréquemment conduits à faire appel aux services de la Fédération, qui renforce son exécutif en 1955. La réforme de 1958, dite « réforme Debré », et celle de 1970 portée par Robert Boulin se révèlent particulièrement structurantes, permettant la création d’un véritable service public hospitalier, doté d’une triple mission de soin, de recherche et d’enseignement.

Réalisé avec le concours de la Société française d’histoire des hôpitaux


14/06/24

1947
Naissance de la Fédération internationale des hôpitaux (FIH), qui regroupe les fédérations hospitalières, hôpitaux et professionnels hospitaliers de plus de 100 pays.

1953
Le décret du 23 mars 1953 relatif au budget et à la comptabilité des hôpitaux généralise à l’ensemble des établissements hospitaliers la réforme de la comptabilité approuvée par l’arrêté ministériel du 18 septembre 1947. La conception économique de la productivité issue du taylorisme s’invite à l’hôpital. Naissance de l’union hospitalière de la Martinique.

1955
Le décret n° 55-683 du 20 mai 1955 portant statut général du personnel des établissements d’hospitalisation de soins ou de cures publics substitue des statuts nationaux aux statuts locaux qui réglementaient jusqu’alors les carrières des agents hospitaliers. Bernard Lafay, ministre de la Santé, le commente en ces termes : « Il s’agit d’une réforme dont la portée ne doit pas être sous-estimée car elle a pour effet de placer, pour la première fois, l’ensemble des agents de la fonction hospitalière sur un pied de complète égalité avec les fonctionnaires de l’État. » Lors du congrès de la Fédération les 29 et 30 novembre, le renforcement de l’exécutif de la FHF est annoncé avec la création de la commission permanente et de la fonction de délégué général national.
VOIR – RENFORCEMENT DE L’EXÉCUTIF DE LA FHF – PAGE SUIVANTE

La réforme Debré de 1958, fondatrice de l’hôpital moderne

C’est au cours des soixante-six dernières années, depuis la réforme Debré1 de 1958, que s’est structuré l’hôpital public moderne. Après la loi du 21 décembre 1941 préparée sur la base d’un décret-loi de 1939 resté sans suite à cause de la guerre et récupéré par le gouvernement de Vichy, les ordonnances des 11, 13 et 30 décembre 19582 constituent le deuxième acte fondateur de l’hôpital public moderne. L’ambition était celle de Pierre Mendès France, ministre d’État en 1956. Il avait demandé à Jean Dausset3 de réunir une équipe de jeunes médecins dont Robert Debré, grand pédiatre, prit rapidement le leadership. L’ordonnance du 30 décembre 1958 en particulier crée les centres hospitaliers universitaires (CHU), c’est-à-dire l’alliance dans chaque ville universitaire entre le centre hospitalier régional et la faculté de médecine, d’odontologie et de pharmacie. Chaque acteur conserve sa personnalité morale et son autonomie financière ; les missions des CHU sont fixées : soins, enseignement et recherche, consacrant ce que l’on a appelé « la sainte trinité ». Pour les médecins, le plein temps hospitalier est créé, les maîtres deviennent professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) et se consacrent à cette triple mission hospitalo-universitaire. Cette vaste réforme a fait passer l’hôpital et la médecine française de l’ombre à la lumière.

Daniel Moinard Directeur général honoraire de CHU

Le Pr Robert Debré, lors de l’inauguration de la nouvelle clinique médicale infantile, hôpital Necker-Enfants malades

© Archives AP-HP

 

Jean Dausset, professeur de médecine, hématologue, immunologie, physiologiste 

© Archives de l’Académie des sciences, dossier biographique Jean Dausset
 

1956
La première journée nationale des hôpitaux portée par la Fédération s’ouvre sur le thème suivant : « Il faut humaniser l’hospitalisation ». L’objectif est d’appeler tous les responsables des hôpitaux de France à participer à son action. « Il en va du bien-être du malade et de l’avenir des hôpitaux », indique l’éditorial de la Revue hospitalière de janvier 1956.

1958
« Réforme Debré », étape essentielle dans l’histoire de l’hôpital moderne, avec trois ordonnances et un décret qui créent le centre hospitalier régional et universitaire, modifient les études médicales en faveur d’une formation partagée entre pratique au lit du malade et théorie sur les bancs de la faculté.
VOIR CI-CONTRE LA RÉFORME DEBRÉ DE 1958
Le 31 mai 1958, le général de Gaulle arrive au pouvoir, appelé par le président de la République René Coty ; empêtrée dans la guerre d’Algérie, la France est au bord de la guerre civile. Investi de pouvoirs spéciaux, de Gaulle fait valider par référendum le 28 septembre une nouvelle constitution. Il est élu président de la République le 21 décembre et prend ses fonctions le 8 janvier 1959.

1960
L’École nationale de la santé publique, créée en 1945, devient un établissement public administratif doté de l’autonomie financière (loi du 28 juillet 1960). Cette école, qui deviendra quarante ans plus tard l’École des hautes études en santé publique (EHESP), sera installée à Rennes en 1962.

1961
Initiation d’une réforme de l’AP-HP. Premier décret de transfert des missions sociales de l’AP au département de la Seine.
VOIR – RÉORGANISATION DE L’AP-HP – CI-CONTRE

1964
Création de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) par le décret du 18 juillet 1964. Issu de la transformation de l’Institut national d’hygiène (INH), ce nouvel organisme s’inscrit dans la dynamique de la réforme hospitalo-universitaire de 1958.

1965
Premières Assises nationales de l’hospitalisation publique, qui préfigurent l’actuel SantExpo. Parution du livre blanc de l’hospitalisation publique de France.

 

La réorganisation de l’AP-HP

Créée par la loi du 10 janvier 1849, l’administration générale de l’Assistance publique à Paris (nom originel) s’est transformée progressivement en une grande institution médicale et sociale, marquée par un gigantisme croissant, une très forte centralisation et une multiplicité de missions confinant à la dispersion. Plusieurs rapports de la Cour des comptes ayant pointé les travers de cette organisation et de son fonctionnement, une réforme de l’Assistance publique (AP) a été initiée en 1961, visant entre autres à aligner le régime parisien sur le régime général dans le respect de leurs compétences respectives et conformes au droit commun : les services à caractère social sont transférés au département de la Seine, l’AP conservant la gestion des hôpitaux.

Plusieurs textes législatifs et réglementaires orchestrent ces modifications : les services sociaux gérés par l’AP – l’aide médicale et l’aide sociale – sont remis à la Ville de Paris, respectivement par la loi du 10 juillet 1964 et le décret du 27 janvier 1969. Les deux services de l’enfance, la protection maternelle et infantile (PMI) gérée par l’AP depuis 1946 et surtout l’aide sociale à l’enfance, sont transférés au département par les décrets du 24 janvier 1969 et du 5 décembre 1961. Les « enfants de l’Assistance publique » deviennent désormais les « enfants de la DDASS » (la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, aujourd’hui la direction de l’action sociale de l’enfance et de la santé – DASES).

Ainsi, le processus de séparation entre les volets social et sanitaire se trouvait quasi achevé à l’AP au moment de la parution de la loi Boulin du 31 décembre 1970. Un dernier décret a orchestré le transfert de 12 établissements de l’AP (hospices et maisons de retraite) au bureau d’aide sociale de Paris le 30 décembre 1970. Il a fallu néanmoins attendre la loi hospitalière du 31 juillet 1991 pour voir accolé au nom originel d’Assistance publique l’extension « Hôpitaux de Paris ». Cependant, bien que les missions sociales aient disparu de son champ de compétence, « l’AP » demeure vivante au moins pour son personnel, tandis que le public ne retient plus pour sa part que les « Hôpitaux de Paris ».

Hélène Servant Directrice du département des patrimoines culturels de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris

1966
La FHF adhère au programme européen d’échanges destinés aux professionnels de santé HOPE (European Hospital and Healthcare Federation), dont elle est toujours membre à ce jour. L’échange a lieu annuellement et permet aux professionnels de santé concernés un partage mutuel de connaissances et d’innovations.

1968
En mai, les étudiants dénoncent le caractère inéquitable du système de sélection. En quatre semaines, 20 000 places supplémentaires sont proposées dans les hôpitaux universitaires, mais aussi dans les hôpitaux généraux et spécialisés.

1970
La loi du 31 décembre 1970 portée par Robert Boulin crée le service public hospitalier, auquel participent hôpitaux publics et privés. La loi renforce les fonctions de directeur d’hôpital en faisant de lui le représentant légal de l’établissement et le seul ordonnateur des dépenses. Une carte sanitaire est créée afin de rationaliser le système hospitalier. Le principe de séparation des secteurs sanitaire et social est posé.
VOIR – LA LOI HOSPITALIÈRE DU 31 DÉCEMBRE 1970 – CI-CONTRE

De nouvelles constructions en territoires suburbains

La fin des années 60 et le début des années 70 voient le lancement de nombreux grands chantiers, symboles du progrès et de l’optimisme de ces 30 Glorieuses : reconstruction d’hôpitaux mis à mal par la guerre, à l’instar de l’hôpital Ambroise-Paré, ou édification de nouveaux établissements comme Henri-Mondor (Créteil), Louis-Mourier (Colombes) ou encore René-Muret (Sevran), destinés à doter les territoires suburbains en pleine expansion des équipements nécessaires (réseaux, services de l’État, centres commerciaux), suite au baby-boom ayant suivi la Seconde Guerre mondiale.

Reconstruction de l’hôpital Ambroise-Paré, détruit par les bombardements de 1942, inauguré le 2 juin 1970

© Archives AP-HP
© Archives AP-HP

Hôpital René-Muret, 1967, Sevran (Seine-Saint-Denis)

© Archives AP-HP

Hôpital Charles-Richet (rebaptisé Adélaïde-Hautval en 2015), 1967, Villiers-le-Bel (Val-d’Oise)

© Archives AP-HP

1971
En réaction aux évènements de Mai-68, la profession médicale obtient par la loi du 12 juillet 1971 la création du numerus clausus destiné à réguler le nombre de médecins en formation dès la fin de la première année du premier cycle des études médicales. D’origine corporatiste, le numerus clausus deviendra très rapidement un instrument de régulation budgétaire pour contenir l’évolution des dépenses de santé. Il sera considérablement réduit à partir de 1974, qui marque la fin des « 30 Glorieuses » suite au déclenchement de la guerre du Kippour ayant entraîné le quadruplement du prix du baril de pétrole et, par voie de conséquence, une forte dégradation des finances publiques.

1972
Naissance de l’union hospitalière de la Guadeloupe.

Renforcement de l’exécutif de la FHF

Guy Forestier est le premier délégué général de la FHF, nommé en novembre 1955, lors du congrès annuel de la Fédération hospitalière de France. « Par les mesures que nous avons prises (la création d’un secrétariat permanent à Paris assisté d’une commission permanente), la Fédération hospitalière de France va entrer dans une nouvelle phase de sa vie et connaître une influence et un rayonnement plus grands », affirme André Southon, président de la FHF. Le rôle du délégué général est en particulier d’intervenir, en vue d’infléchir dans le sens des conceptions fédérales la réforme hospitalière alors en cours d’élaboration.

Direction de la FHF

PRÉSIDENTS
Gabriel Montpied 1946-1952
André Southon 1952-1957
Jean Minjoz 1957-1979

DÉLÉGUÉS GÉNÉRAUX
Guy Forestier 1955-1964
Pierre Raynaud  1964-1980

Robert Boulin, ministre de la Santé, lors de l’inauguration de l’hôpital Ambroise-Paré le 2 juin 1970

© Archives AP-HP

La loi hospitalière du 31 décembre 1970

Après la loi du 21 décembre 1941 préparée sur la base d’un décret-loi de 1939 resté sans suite à cause de la guerre et récupéré par le gouvernement de Vichy, puis l’ordonnance du 30 décembre 1958 créant les centres hospitaliers universitaires, la loi du 31 décembre 1970, dite « loi Boulin », portant réforme hospitalière, représente le troisième acte fondateur du service public hospitalier. Elle définit les conditions d’association et de participation des établissements au service public et renforce les fonctions du directeur en faisant de lui le représentant légal de l’établissement et le seul ordonnateur des dépenses.

Afin de mieux organiser la planification de l’offre de soins pour rationaliser le système hospitalier, le rendre plus équitable, assurer les complémentarités nécessaires et faire ce qu’on a appelé « des économies intelligentes » en supprimant les doublons (installations, matériels) et en répartissant mieux les lits et les équipements coûteux, la loi institue une carte sanitaire. Les décrets d’application fixent des indices lit/ population et des indices équipement/population dans le cadre de secteurs sanitaires de 80 000 habitants. Lors de son examen au parlement, la loi Boulin suscita de nombreuses critiques, la droite libérale voyant en elle une avancée vers l’étatisation du système de santé. Quant à la gauche, elle l’interprétait comme une dérive vers le grand capital… Pour s’adapter à l’évolution de notre système sanitaire, cette loi a par la suite été modifiée près de soixante-dix fois !

Jacques Brunier Directeur d’hôpital honoraire, vice-président de la Société française d’histoire des hôpitaux et directeur-rédacteur en chef de sa revue.


1 Robert Debré (1882-1978), père de Michel Debré qui fut Premier ministre de 1959 à 1962.
2 Ordonnance n°58-1198 du 11 décembre 1958 portant réforme hospitalière ; ordonnance n°59-1199 du 13 décembre 1958 relative à la coordination des équipements sanitaires ; ordonnance n°58-1170 du 30 décembre 1958 portant réforme hospitalo-universitaire.
3 Jean Dausset (1916-2009), professeur de médecine, hématologue, immunologue, physiologiste, reçut le prix Nobel de médecine en 1980.

Sources :
• Revue hospitalière de France, n°500, octobre-novembre 2004
• Hubert Calvez, Cinquante ans d’histoire de l’hôpital public en France, 1924-1974, octobre 1973 • La Revue hospitalière, 20e année, n°72, décembre 1955
• La Revue hospitalière, 21e année, n°73, Janvier 1956 • www.vie-publique.fr/
fiches/268979-la-ive-republique-1944-1958 • www.ehesp.fr
• hope.be
/www.inserm.fr/nous-connaitre/histoire-de-linserm/