Une démarche collective
Dès sa création, le projet associe l’ensemble des parties prenantes, intra et extra-CHU, en s’inspirant du modèle de partenariat dit « de Montréal » : participation des familles, résidents et professionnels à toutes les étapes 1. Il s’agit, à toutes les étapes du projet, d’aller chercher le plus haut niveau d’engagement. Pour cela, plusieurs journées de travail ont été consacrées aux soins, à l’intimité, à la vie sociale, à la prise en compte des déficiences ainsi qu’à l’hébergement pour permettre d’affiner les attendus des personnes accueillis et aux professionnels de prendre le recul sur leurs pratiques.
Ces travaux ont abouti à la coécriture d’une « Philosophie d’accompagnement centrée sur les besoins, attentes et envies des personnes accompagnées et de leurs familles ». Ce document socle, actualisé au fur et à mesure de l’avancée de la transformation, fait aujourd’hui référence dans l’ensemble des échanges. La complémentarité des profils des membres de l’équipe projet permet d’assurer une vision d’ensemble sur tous les points évoqués. Ainsi, la directrice de pôle garantit les aspects réglementaires, la conduite de projet et le soutien des autorités de tarification. La cheffe de pôle, gériatre, apporte l’expertise médicale. La cadre supérieure de pôle assure la projection des organisations à ressources RH équivalentes. L’ingénieur travaux vérifie la faisabilité technique et financière, et l’ergonome se charge des aspects de caractérisation et d’impact sur les organisations de travail.
Cette équipe projet resserrée en pilotage avec le soutien de la direction générale du CHU intègre également une expertise nouvelle dans le secteur, la maîtrise d’usage, incarnée par une architecte spécialisée dans l’approche domiciliaire et un ingénieur en design social. Et ainsi permettre l’analyse, la prise et recul et la formation des professionnels dans la réalisation d’expérimentations permettant la transformation. Mais aussi pour partager avec l’équipe de programmation et l’équipe projet, afin de faire de l’architecture des bâtis l’un des outils au service de la philosophie d’accompagnement. Et enfin pour construire de façon itérative avec l’ensemble des acteurs (résidents, familles et professionnels), au fil de l’élaboration du programme pour partager, expérimenter et s’assurer de la faisabilité et de la pertinence des orientations prises.
Une démarche d’expérimentations
Le programme architectural a donc été travaillé en relation étroite avec la maîtrise d’usage et avec les équipes. Il s’agissait de créer un programme immobilier très détaillé puisqu’il se devait de synthétiser toute la démarche collective menée depuis les premières réflexions, de recenser de façon exhaustive toutes les attentes et objectifs du projet sous l’angle de sa dimension domiciliaire affirmée au service du bien-être de tous. Et ainsi de constituer le cahier des charges contractuel avec les architectes qui penseront le projet. En effet, guidée par une maîtrise d’usage, pour initier la transformation et penser un projet architectural, la démarche d’expérimentations par le design thinking 2 a permis de transformer cette philosophie en réalité. À court terme, par des expérimentations au sein des services et à moyen terme, pour construire l’outil « bâti » au service de cette transformation domiciliaire.
Et c’est ainsi que le projet architectural a pour ambition de créer un quartier d’habitats et de services innovants, basé sur une mixité de structures (immeuble, résidences, maisons), couplés à des services de proximité comme un restaurant, une supérette, une maison de quartier comprenant le « tiers lieu » et une maison de santé pluridisciplinaire gériatrique enrichie d’un appartement pédagogique de maintien à domicile, a pris forme. L’ensemble du capacitaire actuel, soit 404 lits et places, sera reconstitué. La réception de la première phase (immeuble et résidences) est prévue en 2028, celle des maisons en 2030.
L’accompagnement des personnes accueillies
Le projet permettra aux personnes accueillies de choisir leur mode de vie : vivre comme à la maison, à son rythme, dans un environnement résidentiel, offrant tous les services nécessaires, permettant la vie sociale et familiale. Pour se préparer, les professionnels proposent d’ores et déjà des accompagnements différents : petit déjeuner à la carte, lever tardif pour respecter le rythme… Il permettra aussi de choisir son habitat : dans des maisons de type « colocation », des résidences ou dans un immeuble. Les personnes pourront rester dans l’environnement choisi, quelle que soit l’évolution de leur état de santé. La plus-value de l’Ehpad hospitalier permettra de garantir l’accès à des soins de haute qualité et d’expertise ailleurs que dans un environnement institutionnel, en rendant les soins et la technique les plus transparents possible.
La réflexion menée en amont avec les personnes accompagnées a permis d’identifier les freins institutionnels auxquels sont confrontées les personnes accueillies, réduisant leur autonomie ou leur pouvoir d’agir. Les équipes ont mesuré à quel point les organisations et les postures professionnelles pouvaient engendrer des difficultés physiques et psychiques, ou encore augmenter les troubles psycho-comportementaux. Entendre et accepter les notions de droits aux risques et la volonté d’agir et de vivre selon leur rythme des personnes accompagnées, leurs croyances, les envies et leurs valeurs, a permis de travailler sur une architecture et des organisations adaptées.
Transformer les organisations
Le défi relevé est de transformer les organisations hospitalières, centrées sur le soin, en accompagnement domiciliaire, centré sur la qualité de vie et l’accompagnement, en s’inspirant des méthodes du design thinking. Ces méthodes ont permis de repenser les accompagnements en expérimentant des nouvelles organisations : arrêter les tours de soins standards pour aller vers de la haute personnalisation, et ce à moyens constants. Les expérimentations ont permis de réajuster, d’accompagner, toujours avec un principe de droit à l’erreur et de réversibilité. Les travaux engagés, notamment autour de la caractérisation des activités menées en collaboration avec l’ergonome du CHU, ont permis d’identifier des besoins en nouveaux métiers au sein de nos structures et de recentrer les professionnels vers leur coeur de métier. Les futures organisations s’inspirent déjà des modèles organisationnels des SSIAD et HAD, et ce pour renforcer la dimension domiciliaire.
Innovations technologiques
Au sein du tiers lieu « Venez chez René » (projet retenu et financé par la CNSA en 2021) est né un Rehab- Lab 3 en Ehpad, pour créer avec les usagers et leurs familles des aides techniques personnalisées. Une imprimante 3D y est implantée et permet la création sur site d’aides personnalisées aux besoins des habitants (porte-pailles, porte-téléphones, aides à la mobilité…). Les casques de réalité virtuelle, les vélos connectés ou encore les tablettes interactives sont très investis par les habitants, les familles et les professionnels. Une innovation majeure expérimentée dans nos établissements depuis 2020 est le codéveloppement de l’oreille augmentée des soignants. C’est une solution d’intelligence artificielle acoustique conçue afin de renforcer la sécurité des résidents tout en allégeant la charge des professionnels.
La collaboration, initiée il y a quatre ans, a porté au départ sur la détection par l’intelligence artificielle des chutes en Ehpad. Très rapidement, d’autres bruits ont été remontés et permettent aux soignants d’être alertés en temps réel dans des situations d’urgence mais aussi de confort. La détection de ces bruits a permis de pousser le nouveau modèle organisationnel vers une très haute personnalisation. L’utilisation de l’oreille augmentée permet de savoir si la personne dort ou a besoin d’aide. Cela a permis d’arrêter les tours de soins, de changes et de se rendre au juste moment auprès du résident qui en a envie ou besoin. Cela apporte également des éléments d’aide au diagnostic pour l’équipe médicale : l’écoute des symptômes, notamment la toux, ainsi que l’analyse des alertes.
Le « quartier des aînés » est un projet innovant qui se construit dès maintenant et se pense avec de nombreux partenaires tels que le centre de l’innovation du CHU, W.INN, pour l’accompagnement des start-up ; l’université de Bretagne occidentale, la faculté de sciences humaines et le CNRS avec l’intégration du projet des Ehpad-ULSD dans le projet de recherche international Innov’care ; la Brest Business School pour réfléchir en amont sur les nouveaux modèles managériaux à inventer ; l’institut de formation des professionnels de santé (IFPS) de Brest pour intégrer dès aujourd’hui les futurs professionnels dans la transformation domiciliaire ; l’institut pour le travail éducatif et social pour renforcer les métiers de l’accompagnement, complémentaires de ceux du soin dans nos établissements hospitaliers ; le GCS HUGO pour son accompagnement dans l’innovation et les liens avec les autres CHU du Grand Ouest ; la French Tech pour le réseau avec les start-up ; l’espace de réflexion éthique ; le benchmark à l’international via l’Académie de la transformation de l’habitat et de l’offre médico-sociale (ATHOM).
La transformation domiciliaire est donc une réalité dès à présent sur les Ehpad brestois et trouvera assise architecturale dans le futur quartier des aînés.