Quelles sont, selon vous, les causes de cette dégradation brutale ?
Tout d’abord, il faut éliminer l’idée que le problème vient du niveau d’activité réalisée. Depuis 2021, cette dernière est en hausse, avec un taux d’occupation moyen 2023 des Ehpad publics de 94,4%. Nous n’avons pas tout à fait atteint le niveau de 2019 (97%), mais nous en sommes proches. L’enquête de la FHF montre d’ailleurs que la généralisation des difficultés financière concerne de la même façon les établissements qui ne rencontrent aucun problème d’activité. L’une des causes des difficultés rencontrées est la compensation partielle d’un certain nombre de mesures salariales issues des accords du Ségur de la santé. Mais le principal facteur est l’effet ciseau implacable entre les tarifs des Ehpad, dont l’évolution en 2022 et 2023 a été limitée, et les charges des établissements, qui ont été considérablement impactées par l’inflation. À titre d’exemple, les tarifs hébergement des Ehpad ont augmenté en moyenne de 1,1 % en 2022 et de 3 % en 2023 quand l’inflation générale a été respectivement de 5,2 et 4,9 % (mais beaucoup plus encore sur les dépenses d’alimentation et d’énergie, qui impactent fortement le tarif hébergement).
Quelles solutions peuvent être envisagées ?
À court terme, il faut arrêter la dégradation, et pour cela il faut une augmentation de l’ensemble des budgets des Ehpad à hauteur de 5 %. Le projet d’instruction de campagne budgétaire 2024 pour les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS) prévoit une actualisation de 3 % des financements soins de tous les Ehpad. Pour les Ehpad publics, le financement complémentaire des mesures d’attractivité salariales spécifiques à la fonction publique (revalorisation des sujétions de nuit, dimanche et jour férié) doit permettre d’arriver à une évolution de l’ordre de 5 % des financements alloués au titre du soin, et nous avons le sentiment d’avoir été entendus. Cette orientation était indispensable mais ne permettra pas, à elle seule, le rattrapage des situations de sous-financement constatées, qui concernent principalement les sections tarifaires hébergement et dépendance des Ehpad. Nous souhaitons à présent que tous les conseils départementaux suivent cette dynamique et fixent des augmentations de 5 % pour les tarifs hébergement comme dépendance.
À plus long terme, nous devons aussi mettre sur la table la question de la différence de traitement sur le règlement de la taxe sur les salaires entre les établissements de différents statuts ou sur les allégements généraux de cotisations qui ne bénéficient qu’aux Ehpad privés. Il faut rétablir l’équité entre ces structures, c’est une mesure de justice fiscale dont l’impact est majeur pour le secteur public. Actuellement, pour un même salaire, le coût salarial global pèse 20 % plus lourd pour un établissement public. La correction de ces différences de traitement devra certainement passer par un travail approfondi d’objectivation des règles sociofiscales que la FHF réclame depuis des années.
Cela renvoie à notre demande constante d’une loi de programmation d’envergure sur le grand âge et pose la question des ressources que la société pourrait y consacrer. Par exemple, qu’est-ce qui relève du reste à charge, de la solidarité nationale ou encore des assurances ? La loi de programmation a été annoncée par le Gouvernement en novembre 2023, et son principe est inscrit dans la loi « Bien vieillir »3. Il faut à présent que le chantier soit réellement engagé. Personne ne comprendrait qu’on ne tire pas les conséquences d’un doublement de la population de plus de 75 ans projeté à l’horizon 2050.
Cette enquête a eu beaucoup d’écho à l’échelle nationale, mais aussi locale, grâce à un relais médiatique soutenu, y compris dans la presse radio et audiovisuelle, marquant un intérêt certain pour la situation des Ehpad en France. Nous avons également proposé aux responsables des établissements d’évoquer au sein de leurs instances de gouvernance la possibilité de voter des motions pour alerter les pouvoirs publics sur ces situations financières très dégradées. Il serait illusoire de penser que ne pas aborder ces sujets difficiles aiderait à les résoudre… Une prise de conscience collective sur la nécessité d’un débat entre la population et les pouvoirs publics est indispensable, et lui seul permettra de déboucher sur les propositions concrètes en envisageant l’ensemble des solutions incluant l’évolution du cadre de financement des Ehpad. En l’absence de politique globale, l’offre risque de se dégrader au moment même où les besoins vont croître de façon massive.
Chiffres clés*
Reprise de l’activité
94,4 % de taux d’occupation moyen en 2023, en hausse par rapport à 2022Généralisation des résultats déficitaires
- 84,4 % des Ehpad publics enregistrent un résultat déficitaire pour l’exercice 2023 (contre 75 % en 2022, 44 % en 2019)
- Un niveau de déficit record, en moyenne supérieur à 3 000 € par place. Extropié à l’ensemble des Ehpad publics, cela représenterait environ 800 M€ de déficit cumulé en 2023 (en hausse de 60 % sur un an)
- Plus d’un tiers des Ehpad indique avoir rencontré des difficultés de trésorerie en 2023 et avoir différé le paiement de certaines charges
Aides exceptionnelles en 2023
- Agences régionales de santé (État) : 40 % des établissements ont indiqué avoir obtenu des crédits exceptionnels (issus du fonds d’urgence et/ou de crédits non reconductibles)
- Conseils départementaux : 11,4 % des répondants ont bénéficié de crédits exceptionnels pour compenser les difficultés financières rencontrées Causes de la dégradation financière
Trois causes citées par une très grande majorité des établissements :
- Impact de l’inflation sur les charges d’exploitation (énergie, alimentation) pour 98 %
- Compensation incomplète des revalorisations salariales pour 84 %
- Évolution insuffisante des tarifs hébergement pour 74 %
Pour 42 % des répondants, le niveau d’activité peut expliquer en partie cette dégradation.
* Enquête conduite par la FHF du 12 février au 4 mars 2024, présentant la situation financière des Ehpad publics de la fonction publique hospitalière (FPH) sur la base des résultats consolidés 2023. Les données présentées proviennent d’une enquête déclarative colligeant les réponses de plus de 730 Ehpad publics (autonomes et rattachés à un établissement public de santé) répartis dans l’ensemble des régions représentant plus de 100 000 lits d’hébergement permanent. Cela correspond à près de 43 % des places d’Ehpad publics relevant de la fonction publique hospitalière.