Ressources Humaines

OPTIMISATION DE LA GESTION DES LITS ET FLUX PATIENTS

N°624 Mai - Juin 2025

CRUP et Samu Psy – Fluidifier les parcours en psychiatrie

En Seine-Saint-Denis, territoire en forte tension démographique, l’EPS Ville-Évrard déploie deux dispositifs innovants pour répondre à l’urgence psychiatrique : le CRUP et le Samu Psy. Initiés par les équipes du pôle G04, avec l’implication forte de l’encadrement paramédical, ils ont pour objectif de désengorger les SAU, réduire les soins coercitifs et fidéliser les soignants.

Soumia Alleon Faisant fonction cadre supérieure de pôle
Lévina Dachiville Cadre de santé de pôle
EPS Ville-Évrard


11/06/25

L’établissement public de santé (EPS) Ville-Évrard couvre 33 communes de la Seine-Saint-Denis, soit 1 655 422 habitants. Le département connaît une croissance annuelle de la population supérieure à 1 %, sans augmentation parallèle de l’offre en lits d’hospitalisation. Cette tension capacitaire aggrave l’encombrement des urgences. Les services d’accueil des urgences (SAU) d’Avicenne et Delafontaine ont enregistré respectivement 41 000 et 63 811 passages en 2023. Le nombre d’actes psychiatriques augmente également.

Au total, entre 2023 et 2024, on comptait à Delafontaine +6,27 % de passages aux urgences psychiatriques et +21,13 % de demandes de psychiatrie de liaison. L’embolie des urgences expose à des risques accrus : surmortalité, violences, évènements indésirables graves (EIG). Les patients psychiatriques, lorsqu’ils occupent durablement les box, retardent la prise en charge des autres pathologies et voient leur propre état se dégrader. Au-delà de six heures au SAU, le recours à la contention est multiplié par cinq.

Le CRUP : une prise en charge digne et rapide

Le pôle G04, porté par une équipe pluriprofessionnelle dynamique sous l’impulsion de son chef de pôle, le Dr Fayçal Mouaffak, propose une offre de soins psychiatriques riche et diversifiée, destinée aux habitants de plus de 16 ans des communes de La Courneuve, Dugny et Stains. Cette offre s’étend des techniques de stimulation cérébrale aux thérapies familiales systémiques, en passant par des stratégies psychopharmacologiques adaptées. Confrontée depuis plusieurs années à une augmentation constante des demandes de soins en urgence psychiatrique, à la baisse de la démographie médicale et paramédicale ainsi qu’aux tensions capacitaires touchant l’ensemble des unités hospitalières du territoire, l’équipe du G04 a porté la création du centre renforcé d’urgences psychiatriques (CRUP).

Inauguré en septembre 2023, le CRUP Delafontaine est une réponse concrète à l’engorgement chronique. Ses objectifs sont de réduire le temps d’attente aux urgences, d’offrir une évaluation et une orientation en conditions optimales, d’éviter l’hospitalisation par défaut en favorisant le retour à domicile, d’initier les traitements de fond plus précocement et de diminuer la durée de séjour et le recours aux mesures de coercition. Après un an d’activité, sur 1 703 hospitalisations, 75 % des patients ont été pris en charge en moins de 66 heures pour une durée moyenne de séjour de 44 heures 53. ENCADRÉ 1

LE CRUP EN CHIFFRES (2023-2024) ENCADRÉ 1

• 1 703 hospitalisations pour 1 407 patients
• 75 % pris en charge en moins de 66 heures
• Temps d’attente aux urgences : moins de 3 heures à Avicenne, divisé par 3 à Saint-Denis
• 30 admissions par semaine
• Une majorité de patients en hospitalisation sous contrainte
• Alternative à l’hospitalisation systématique : retour à domicile possible dans certains cas

Le CRUP accueille tous les patients, y compris en hospitalisation sans consentement. L’orientation post-CRUP se fait vers les unités d’hospitalisation, le secteur ambulatoire ou, dans certains cas, à domicile. Depuis sa mise en place, le temps d’attente au SAU a été divisé par trois à Saint-Denis et diminué de trois heures à Avicenne. FIGURE 1

Le Samu Psy : réguler et intervenir en amont

Le Samu Psy93, lancé en mai 2024, propose une régulation et des interventions mobiles pour prévenir et gérer les crises psychiatriques avant qu’elles n’atteignent le SAU. Le dispositif repose sur deux axes :
• prévention et régulation (coordination avec le secteur),
• intervention à domicile (IAD). Porté par le pôle G04, le projet a été construit en concertation avec les acteurs de l’urgence et les directions. Il a été financé via le Fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie (FIOP) 2023, appel à projets créé en 2019 et piloté par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Cela a nécessité le recrutement de 5 ETP infirmiers spécialisés.

L’équipe fonctionne 12h/24 (8h-20h), avec psychiatre et IDE la semaine, et IDE seuls en lien avec le Samu somatique le week-end. Une phase de rodage de six semaines a permis d’ajuster le fonctionnement via des débriefings systématiques. Les premiers résultats sont prometteurs. Les motifs d’appels sont principalement les angoisses, la tristesse, les idées suicidaires, suivies par la violence, les comportements addictifs et consommations de toxiques, les insomnies ou encore les hallucinations. Sur une moyenne de 8,8 appels traités par jour, le taux de maintien à domicile est passé de 22 % à 42,2 %. FIGURE 2

L’implication forte de l’encadrement paramédical : clé du succès

Dans un contexte de désert paramédical, le recrutement s’est avéré difficile. L’encadrement de santé a proposé une fiche de poste mixte SAU/ Samu Psy, permettant aux infirmiers d’alterner entre les deux unités. Résultat : les postes ont été pourvus avant avril 2025, avec une forte fidélisation. Ce choix stratégique a permis de capitaliser sur l’expérience acquise dans les deux contextes d’urgence et d’améliorer la continuité de la prise en charge. Il illustre l’agilité et la créativité de l’encadrement, essentiel à la réussite de ces innovations organisationnelles.

Vers un modèle pérenne, centré sur le soin et l’humain

Les premiers résultats du CRUP et du Samu Psy confirment le rôle central de ces dispositifs dans la refondation des urgences psychiatriques. En fluidifiant les parcours, en évitant les hospitalisations inutiles et en limitant les mesures coercitives, ils apportent une réponse plus humaine et plus efficace à la crise actuelle. Ils démontrent aussi qu’avec une gouvernance partagée et une implication forte des équipes médicales et paramédicales, il est possible d’innover au bénéfice des patients comme des professionnels. En perspective : un second CRUP est en cours de réflexion au SAU Avicenne, avec une ouverture prévue dans un délai de deux ans.