Réflexions hospitalières

N°613 Juillet - Août 2023

Multiplication des examens d’imagerie médicale – Enjeux et conséquences dans les parcours de soin

Les modalités d’imagerie médicale se complètent pour répondre à des questions cliniques parfois pointues, lesquelles exigent plusieurs manières de « voir » à travers le corps. Chacune apporte des informations différentes et utiles au diagnostic. Pour les patients, la multiplication d’examens complémentaires s’avère difficile à interpréter : comprendre les lois de la physique à l’oeuvre dans ces machines, et ce qu’elles révèlent en fonction de leur paramétrage, n’a rien d’aisé. Il s’agit de donner un sens à des images variées et hétéroclites d’eux-mêmes, et/ou d’un même problème de santé. Comment faire coïncider ces images ? Ont-ils toujours conscience de ce que chaque examen complémentaire recherche et illustre ? Comment vivent-ils ces examens multiples ?

Déborah Gasnot Master 2 santé, médecine, questions sociales, École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Assistante de gestion à la Chaire de philosophie à l’hôpital


16/08/23

 

En sociologie comme en anthropologie, plusieurs travaux1 ont d’ores et déjà été menés sur les enjeux, dans le suivi des maladies et la prise en charge des patients, de visualisation des clichés d’examens d’imagerie. L’anthropologue Cécile Estival dresse une typologie des diverses raisons portant les patients à y prêter attention, ou non2. Ses recherches donnent à voir en quoi l’âge, le genre, l’appartenance sociale, la pathologie et sa localisation, les interventions autour de la saisie du cliché (pose ou retrait de sonde, ablation d’organe), le moment où il est réalisé dans le parcours de soin (début ou fin de parcours), etc., constituent autant de facteurs susceptibles d’amener les patients à s’intéresser ou à se désintéresser de leurs images, à un instant « T ».

Ainsi les patients âgés et les hommes auront-ils moins tendance à s’enquérir de leurs résultats d’examens. Ils estiment ne rien y comprendre et, surtout, ne pas avoir besoin de les comprendre, à la différence des patients jeunes ou des femmes, généralement plus curieux et plus investis dans leur santé. Cette typologie invite à penser l’appréhension des clichés comme dynamique et processuelle tout au long du parcours de vie et de soin : une jeune femme peut se montrer très curieuse dans sa jeunesse, se lasser avec le temps, et moins ressentir le besoin de voir ses clichés en vieillissant, par habitude et/ou confiance envers le personnel médical. Les patients ne sont donc pas toujours intéressés de la même façon.

D’autres chercheurs3 ont observé l’impact de la visualisation des clichés sur les patients et leur ressenti. Les travaux psychanalytiques vont dans le sens d’une modification – consciente ou inconsciente – de la façon dont les patients perçoivent leur corps. La visualisation de certains clichés d’imagerie peut entraîner des bouleversements psychosomatiques, positifs (amélioration) ou négatifs (aggravation de l’état). Ces aspects ont été confirmés par les travaux d’une autre anthropologue, Margitta Zimmermann4. Son analyse de la visualisation des clichés d’imagerie médicale théorise une expérience sensible, dite expérience « esthétique », au sens étymologique du terme5. Ses recherches étayent la thèse selon laquelle la visualisation des clichés d’imagerie s’accompagne parfois d’une somatisation nouvelle du corps chez certains patients, même si ce n’est pas le cas le plus courant.

Les résultats présentés dans cet article sont issus d’une enquête de terrain conduite entre février et mai 2022, chaque semaine, dans un service de radiologie parisien. Le terrain, immersif et non participant, s’attachait à observer le travail des professionnels, à la fois en salle d’examen, de contrôle et d’interprétation. Quatre entretiens qualitatifs ont été conduits auprès de patients pour enrichir ces données ethnographiques. Encore exploratoires, ces résultats font l’objet d’un mémoire de master 2 à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Sa soutenance est prévue en septembre.


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