Droit & Jurisprudence
N°617 Mars - Avril 2024
Panorama de jurisprudence
Centre 15 : l’erreur de diagnostic du médecin libéral n’excuse pas l’orientation initiale erronée du patient par le médecin régulateur
Conseil d’État, 10 octobre 2023, n° 461535
Les parents d’un enfant âgé de 17 jours qui présente une forte fièvre sont orientés par un médecin régulateur du centre 15 vers une maison médicale de garde, en vue de s’y faire prescrire du paracétamol. Le médecin libéral examine l’enfant et confirme la prescription de paracétamol afin de faire tomber la fièvre. Deux jours plus tard, devant la persistance des symptômes, l’enfant est conduit dans un centre hospitalier où est diagnostiquée une méningite à pneumocoque dont il garde de lourdes séquelles. En raison de l’erreur de diagnostic commise, la responsabilité du médecin libéral est retenue devant la juridiction judiciaire. Ce dernier et son assureur font un recours en partage de responsabilité à l’encontre de l’établissement hospitalier, siège du centre 15. Pour rejeter leur recours, les juges du fond estiment que si le médecin régulateur a effectivement commis une faute dans l’orientation des parents, le très bref délai qui s’est écoulé avec la faute de diagnostic commise ensuite par le médecin libéral est de nature à exclure toute imputabilité dans le dommage subi par l’enfant.
Le Conseil d’État ne suit pas cette position. Pour la haute juridiction, dans la mesure où les recommandations médicales en vigueur au moment des faits préconisaient, devant la difficulté de diagnostiquer une méningite bactérienne chez un nourrisson, de toujours hospitaliser un enfant de moins de 28 jours présentant une forte fièvre, afin de débuter une antibiothérapie systématique, « la faute commise par le médecin régulateur du Samu (service d’aide médicale urgente) en n’orientant pas immédiatement, sur l’appel de la mère, l’enfant vers les urgences pédiatriques, portait en elle, tout comme le diagnostic erroné posé trente minutes plus tard par le médecin libéral, la totalité des conséquences dommageables du retard de diagnostic et traitement… » de l’enfant. Dans ces conditions, l’arrêt est annulé pour erreur de droit. Il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier le partage de responsabilité entre l’établissement hospitalier, siège du centre 15 et le médecin libéral au regard des conséquences de leur faute respective.
15/04/24
Décès à la suite d’une contamination par la Covid-19 au sein d’un établissement de santé : une infection nosocomiale indemnisable par la solidarité nationale
Tribunal administratif de Paris, 12 décembre 2023, n° 2112356
La présente décision était attendue. En effet, pour la première fois à notre connaissance, une juridiction a été amenée à statuer sur la question du régime d’indemnisation applicable à la contamination d’un patient par la maladie Covid-19 au cours de son hospitalisation. Jusqu’alors, seules les commissions de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI), en première ligne face aux réclamations des familles de victimes, avaient été amenées à se positionner, non sans difficultés, sur la question du caractère nosocomial de la contamination, au regard de la situation de la pandémie sans précédent que nous avons connue au cours des années 2020 à 2022, et sur l’éventuel régime d’indemnisation applicable. En l’espèce, un patient de 88 ans est admis dans un établissement hospitalier le 28 mars 2020 à la suite d’une chute à son domicile, lui occasionnant un traumatisme crânien.
Le 3 avril, le patient est transféré dans le service de soins et de réadaptation où il sera testé positif à la Covid-19 le 11 avril. Hospitalisé en service de réanimation, il décédera quelques jours plus tard. Saisie par la famille du patient, la CCI se déclara incompétente. Un recours est ensuite engagé devant le tribunal administratif à l’encontre de l’établissement hospitalier. L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) est appelé dans la procédure. En effet, si, depuis la loi du 4 mars 2002, les établissements de santé sont responsables sans faute à l’égard du patient des conséquences dommageables d’une infection nosocomiale (art. L.1142-1 I al.2 CSP) , l’Oniam peut être amené à prendre en charge les conséquences de l’infection à la place de l’établissement dans deux cas de figure :
• lorsque l’établissement peut s’exonérer de sa responsabilité en établissant l’existence d’une cause étrangère en application des dispositions de l’article L.1142-1 II CSP ;
• en l’absence d’exonération de responsabilité de l’établissement de santé, lorsque les conséquences de l’infection entraînent une incapacité supérieure à 25 % ou le décès du patient, sur le fondement des dispositions de l’article L.1142-1-1 CSP (issu de la loi du 30/12/2002 n° 2002-1577).
En l’espèce, pour statuer sur la demande d’indemnisation, le tribunal administratif commence par statuer sur le caractère nosocomial de l’infection contractée par le patient. En l’absence de définition légale, la jurisprudence estime que présente un caractère nosocomial « une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge » (cf. CE 23/03/20218 n°402237). Cette définition extrêmement large permet notamment, à travers la notion « de prise en charge » de recouvrir à la fois l’infection consécutive à un geste ou traitement médical et celle contractée à l’occasion du séjour dans l’établissement hospitalier. S’en tenant à cette définition juridique, le tribunal estime qu’eu égard à la durée d’hospitalisation du patient et à la période d’incubation connue du coronavirus, le caractère nosocomial de l’infection doit être retenu.
Statuant ensuite sur le régime d’indemnisation applicable, le tribunal, de manière quelque peu sibylline, estime que « la circonstance que le coronavirus fût caractérisé par une prévalence exceptionnelle en mars 2020 et constituât, comme le soutient l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), une cause étrangère, ne fait pas obstacle à ce que l’office en indemnise les victimes au titre de la solidarité nationale, dès lors que le caractère nosocomial de l’infection est établi et les conditions d’incapacité sont remplies, conformément à l’article L.1142-1-1 du Code de la santé publique ». Le tribunal retient ainsi tout à la fois l’existence d’une cause étrangère au bénéfice de l’établissement hospitalier et la prise en charge par l’Oniam sur le fondement de l’article L.1142-1-1 du CSP.
Si la reconnaissance du caractère exonératoire pour l’établissement hospitalier des contaminations par la Covid-19 des patients au cours de leur hospitalisation apparaît pleinement justifiée au regard du contexte sanitaire de l’époque, le fondement retenu pour mettre l’indemnisation à la charge de l’Oniam apparaît en revanche plus discutable. En effet, dès lors que le tribunal retient l’existence d’une cause étrangère exonératoire de responsabilité pour l’établissement hospitalier, l’intervention de l’Oniam ne peut se fonder que sur les dispositions de l’article L.1142-1 II qui prévoit l’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, en l’absence de tout responsable. Toutefois sur ce fondement, l’Oniam ne peut se prévaloir du caractère exonératoire de la cause étrangère qui n’est pas prévu par le texte. Par cette décision, le tribunal administratif de Paris permet ainsi aux ayants droit de patients contaminés par la Covid-19 au cours de leur hospitalisation, notamment lors de la première vague pandémique, de bénéficier d’une indemnisation par la solidarité nationale sans avoir à rechercher la responsabilité pour faute de l’État.
On rappellera en effet que dernièrement, la cour administrative d’appel de Paris a reconnu la possibilité pour les personnes particulièrement exposées au virus alors qu’elles n’étaient pas en mesure de maintenir des distances physiques, d’être indemnisées partiellement, en raison de l’absence de constitution par l’État d’un stock suffisant de masques avant la pandémie et de la communication défaillante des pouvoirs publics à propos de l’utilité du port du masque lors de la première vague. La cour a ainsi retenu une perte de chance de 25 % pour des patients décédés après avoir contracté la Covid-19 au cours de soins (n°22PA03991) ou à l’occasion de leur hospitalisation (n°22PA03991), ou d’un séjour en Ehpad (n°22PA03994).
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