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QUATRE QUESTIONS À Zaynab Riet
N°617 Mars - Avril 2024
Quatre ans après la pandémie, persistance d’une dette de santé publique
À l’occasion du quatrième anniversaire du premier confinement, la Fédération hospitalière de France dévoile la première édition de son baromètre sur l’accès aux soins1. Cette enquête inédite est composée d’une analyse de l’évolution de l’activité à l’hôpital entre 2019 et 2024, complétée par un sondage Ipsos sur la vision des Français quant aux conditions d’accès aux soins ENCADRÉ. Si, en 2023, l’activité a repris, des retards de prise en charge subsistent dans certaines disciplines, notamment en médecine et en chirurgie lourde, constituant une dette de santé publique qui pourrait devenir une véritable bombe à retardement en l’absence de mesures adaptées.
15/04/24
Quels sont les principaux enseignements de ce baromètre ?
Quatre ans après la première vague de pandémie Covid-19, nous faisons face à un constat implacable. D’une part, la persistance d’une dette de santé publique est confirmée, et d’autre part, l’hôpital public, incontournable, doit être consolidé dans ses fondamentaux. Ainsi, cette étude confirme le sous-recours en hospitalisation complète de 3,5 millions de séjours entre 2019 et fin 2023. Ces derniers concernent essentiellement la médecine (digestif, cardiologie, système nerveux, rhumatologie) et la chirurgie lourde. Nous pourrions considérer que ce taux baisse du fait de techniques médicales innovantes, de nouvelles organisations ou encore de l’efficacité de démarche de prévention comme la vaccination. Cela est probablement vrai en partie, mais d’autres éléments nous interpellent : nous sommes confrontés à un problème d’accès aux soins qui s’aggrave et, ce qui est nouveau, à une forme de renoncement aux soins.
Comment se traduit en pratique l’aggravation de l’accès aux soins ?
Parmi les personnes interrogées, 6 Français sur 10 ont déclaré avoir renoncé à un acte de soins ces cinq dernières années, en raison de délais trop longs, de difficultés financières ou encore d’une distance trop importante à parcourir. Et de fait, l’enquête Ipsos met en évidence une augmentation du temps de trajet de 6 minutes en moyenne depuis 2019. En parallèle, le délai pour obtenir un rendez-vous a été multiplié par deux sur la même période pour la plupart des services de soins, à l’instar du médecin traitant, du cardiologue ou encore de l’ORL. Et ce avec une fracture importante entre ruraux et urbains pour l’accès à toutes les spécialités, excepté pour la médecine généraliste et la pharmacie de ville. Quatre patients chroniques sur 10 partagent le constat que leur prise en charge s’est dégradée depuis 2019 et la moitié des répondants ont vécu un retard de diagnostic, un report d’intervention ou de traitement liée à la non-disponibilité médecins ou à la surcharge des services de soins.
L’hôpital public est incontournable et indispensable. Comment consolider ses fondamentaux ?
Tout d’abord, il convient de rappeler que l’hôpital public, en France, est un modèle unique au monde, dont nous pouvons être fiers. Ce trésor national2, comme l’a qualifié récemment le Premier ministre, accueille chaque année 7 millions de personnes en hospitalisation et 19 millions aux urgences. C’est l’un des seuls lieux à être ouvert 24 heures sur 24, 365 jours sur 365. Depuis la réforme de 19583, les CHU assurent une triple mission de recherche, de soin et d’enseignement, avec pour unique motivation l’intérêt général. Pendant la pandémie, l’hôpital public a fait face, en jouant le rôle de bouclier sanitaire. Son rôle incontournable et structurant pour les territoires est à nouveau réaffirmé en 2024 par un sur-recours aux urgences qui s’aggrave ; 54% des patients se sont rendus aux urgences pour des problèmes qui ne relevaient pas des urgences contre 42% en 2019 : 34% d’entre eux ne savaient pas où se rendre et 30% ont été dans l’incapacité d’obtenir un rendez-vous en ville dans des délais acceptables.
Ce modèle doit être préservé, et ses budgets de fonctionnement maintenus. Entre 2000 à 2009, des efforts de productivité majeurs ont été réalisés, avec une augmentation de 18,7% de l’activité couplée à une hausse de 3,7% des personnels. L’hôpital public a réalisé 10 milliards d’économie en quinze ans. Mais sa situation est aujourd’hui plus dégradée que jamais, entre l’inflation et les revalorisations salariales non compensées en totalité et les économies encore demandées. Il nous paraît essentiel de définitivement sortir de cette politique de rabot pour avoir une vision, une trajectoire financière qui soit cohérente, basée sur des enjeux de santé publique et permettant d’objectiver les résultats obtenus, en matière de qualité et sécurité des soins, de pertinence des actes, et de non-rupture des parcours de soins. C’est ce que nous demandons au travers d’une loi de programmation en santé, car nous pensons qu’il est possible de maîtriser les dépenses de santé, en réfléchissant autrement.
Quelles sont les clés pour y parvenir ?
Les priorités sont d’organiser les filières de soins sur l’ensemble des territoires, de faire de la prévention effective un axe majeur de notre politique de santé et que la pertinence des soins devienne un axe essentiel de maîtrise des dépenses. En parallèle, il convient d’ouvrir le débat démocratique en matière de santé, à la fois dans le cadre de la loi de programmation et, annuellement, en amont de l’examen du PLFSS. Nous avons la confirmation que nous avons bien une dette de santé publique. Si nous voulons éviter une bombe à retardement, il est urgent de conforter le premier recours et d’alléger la charge qui pèse sur les hôpitaux, notamment sur les urgences, pour que celui-ci puisse se concentrer sur ses missions fondamentales.
Il y a aujourd’hui des notes d’espoir. À la dynamique de la chute de l’absentéisme et des recrutements s’ajoute la perspective de réouverture de lits en 2024. Pour autant, il faut absolument que cette volonté soit accompagnée dans les faits, avec un mode de fonctionnement durable pour l’hôpital, basé sur des budgets consolidés, ainsi que sur des organisations de filières sécurisées. Nous souhaitons un hôpital fort dans ses fondamentaux, d’excellence, d’égal accès aux soins à tous et tous, qui ait les moyens de fonctionner, qui innove, qui soit à sa juste place. L’hôpital ne peut pas et ne doit pas tout faire. En revanche, il est le pilier d’une équipe sur le territoire, associant les libéraux, les acteurs du privé et les élus.
Baromètre sur l’accès aux soins
Évolution de l’activité hospitalière entre 2019 et 2024*
Sous-recours cumulé de 3,5 millions de séjours hospitaliers entre 2019 et fin 2023
Sous-recours en 2023
• En médecine : – 11% en digestif – 13% en cardiologie
– 11% en système nerveux – 12% en rhumatologie• En chirurgie lourde : – 6% en neurochirurgie – 7% en chirurgie digestive
– 7,5% sur les transplantations d’organeCapacités d’hospitalisation en 2023**
• 39 % des hôpitaux se sont déclarés « hôpital en tension »
• 63 % de fermetures de lits en MCO liées à des difficultés RHPrévision de réouverture de lits en 2024**
• 74 % des établissements interrogés prévoient des réouvertures de lit en médecine
• 71 % en soins médicaux et de réadaptation
• 64 % en chirurgieLes Français et l’accès aux soins***
• 63% des Français ont déjà renoncé à un acte de soins ces cinq dernières années Cause : 53% délais d’obtention des rendez-vous 42% budget trop élevé 33% distance trop importante
• Un tiers des Français rapportent avoir subi un retard de diagnostic pour cause de difficulté à obtenir un rendez-vous à l’hôpital
• 40% des malades chroniques estiment que leur prise en charge s’est détériorée*Étude FHF Data, en association avec le cabinet d’expertise PKCS
**365 établissements publics de santé répondants (45%)
***Enquête Ipsos, 1500 Français interrogés entre le 29 février et le 6 mars 2024
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